Ante Mortis - L'Eveil

Voici donc venu l'heure de la confrontation finale ,le défi de ma vie - et sans doute celui de ma mort .La mort est omniprésente ,presque palpable ; elle nous entoure et nous oppresse ,tel un serpent emprisonnant sa proie dans ses anneaux.
Et il commence à resserrer son étreinte.

Le voile de la nuit avait enveloppé les clairières de Tirisfal depuis quelques heures déjà. Un ciel sans nuage ni étoile ,avec la pleine lune pour seul témoin du massacre imminent. Un silence ,devenu familier ,pesait sur ces terres rongées par la peste mort-vivante ,funeste signe de l'arrivée imminente des armées du Fléau. Les moulins de la famille Agamand ne tournaient plus depuis plusieurs jours ; seule une brise portant l'odeur fétide de la mort ,faisait doucement tourner les immenses ailes ,dans un sombre grincement de bois. Cette ambiance sonore constituait un Requiem de circonstance ,car tous ceux qui étaient restés défendre les moulins d'Agamand le savaient : cette nuit seraient la dernière.
Près de la barricade de fortune ,construite de façon a relier le plus de moulins entre eux possible ,le jeune garçon de ferme serrait sa fourche ,bien que ses mains devenues moites rendaient la prise glissante. La famille Agamand...Quelle bande d'imbéciles .Ils s'étaient entêtés a vouloir rester défendre leurs précieux moulins ,et leur charisme - financier - en avait convaincu un bon nombre de les soutenir ,certains physiquement ,d'autres moralement .
Mais ce n'était pas pour ça que le jeune homme était resté ,après tout ,à quoi lui servirait-il de gagner de l'argent dans ces terres que la Peste avait déjà totalement rendu stérile à toute vie ?
Au fond ,lui-même ne savait pas réellement ce qui l'avait motivé à rester. Peût-être cherchait-il à prouver sa valeur ,lui qui n'avait jamais réellement eu de valeurs aux yeux de ses parents -très bon amis des Agamand- et qui ne s'était jamais démarqué des autres jeunes gens de son age ; pas de force incroyable ,aucune promptitude au maniement des lames ,pas de reflexes innés ni de vivacité d'esprit...Un garçon condamné a rester travailler à la ferme ,en somme. Et c'était là ce qui avait irrité ses parents ,eux qui avaient espéré faire de lui un général sans peur et débordant de qualités ,défendant fièrement la noble lignée Menethil...qui avait d'ailleurs perdu de sa noblesse ces derniers jours...Or il n'en était rien .Ce n'était pourtant pas faute de ne pas avoir essayé ; il donnait toujours le maximum pour essayer d'impressionner ses parents ,ses employeurs ,ou même tout simplement les autres jeunes de son age .Mais ce n'était jamais assez .Cette banalité de sa personne faisait qu'il ne s'était jamais attiré les faveurs de qui que ce soit ,pas même ses parents...pas même l'élue de son coeur...
Mais quel espoir y avait-il de vaincre ici? Aucun! Ces cadavres étaient autant de grains de sables dans les vagues de la mer au Nord. Seuls ceux morts vaillament au combat voyaient leur nom gravé dans les écrits des bibliothèques de la cour ,mais se battre en tant que fermier...

Non ,personne ne se souviendrait de Volten Damnill le jeune garçon de ferme.

La Lumière...quel concept amusant. Des gens persuadés qu'il existe une entité lumineuse dont la simple présence suffit à balayer des centaines de cadavres ambulant d'une simple frappe...Ou sont les nobles et puissants paladins aujourd'hui? Ou sont passés ces fervents défenseurs de la Lumière ,protégeant les faibles, armés de leur foi et de leur sens de la justice tant admirés de tous?
Ils sont là, nous font face ,gueule béante et édentée ,armures peintes de leur propre sang ,dévorant leurs frères tombés pour sauver leur famille...Et la Lumière ,qu'a t-elle fait pour ses plus dévoués croyants? Leurs a t-elle seulement permis de ne plus ressentir la douleurs lorsqu'ils se faisaient dévorés vivant par les armées du Fléau? Leurs a t-elle apporté l'apaisement et la certitude que le repos qui s'en suivrait serait des plus paisibles? SI j'en juge aux hurlements que j'ai pu entendre jusqu'à maintenant ,je dirais que non...
Alors ,où est la Lumière?...

Il fut parcouru d'un frisson ,inhabituellement long. Au lieu de s'estomper, il s'intensifia, se muant en tremblement ,et la peur commença à envahir son esprit. Resserant la prise de sa fourche ,il ferma les yeux et s'imposa le calme ,inspirant longuement et calmement. Lorsqu'il les rouvrit ,il vit la lune ,pleine et si blanche ,comme purifiée de toute forme de souillure...La seule compagne qui jamais ne l'avait abandonné.
Des souvenirs lui revinrent en tête ,et la lune se fit miroitante ,reflétant sa propre personne en des temps plus clairs...



Des temps reculés ,mais pas si différents d'aujourd'hui...Car à l'époque tout comme aujourd'hui ,je cherchais à faire mes preuves dans un monde où je n'existait quasiment pas...Ce n'était que dans mes songes ,que je me sentais être une personne de valeur.
Le temps des songes...


8 ans. L'age ou tous les jeunes enfants commencent à rever d'aventures, de combats héroïques ; brandissant de redoutabloes épées de bois ,ils s'élancent face à des vaches ,que leur imagination change en démons ,les poules devenues de redoutables rapaces s'enfuient devant eux ,irradiantla lumière et la noblesse des chevaliers...
Volten s'était imaginé bien des aventures de la sorte ,mais ses ennemis à lui étaient la terre à retourner ,et le foin a distribuer aux betes...Car c'est dans le besoin que l'on reconnait ses amis ,et il espérait fortement qu'en terminant les corvées des autres ,ils finiraient par l'accepter parmis eux.
Ils lui avaient même promis qu'à leur prochaine aventure ,il pourrait etre le héros et même imaginer lui même l'histoire! Il était tellement content...Enfin accepté! Finies les fins de journées allongé sur les mottes a jouer avec l'herbe , finies les soirées passées sur l'ilot au centre du lac à attendre la venue de la lune pour lui parler de sa journée ,plus besoin non plus de se cacher à observer les autres jouer
entre eux...

Volten avait réfléchi longuement à un récit parfait ,digne d'être dans les plus grandes histoires de la bibliothèque royale! Oh oui il y avait réfléchi jour et nuit ,et ses corvées n'en avaient été que moins difficiles ,tant cela occupait son esprit ; tout était fin pret, chaque jour il repassait son aventure en tête ,vérifiant la cohérence, modifiant des passages ,des personnages de l'histoire...Il ne lui restait plus qu'à retrouver ses amis pour se lancer ; pour la première fois, il ne serait pas seul dans ses propres récits!
Cela faisait maintenant 3 semaines que tout était fin pret..3 semaines qu'il "aidait" ses -premiers- amis...mais c'était pour la bonne cause! Pour leur prouver qu'il était pret à les aider..et ils semblaient l'avoir très bien compris...
Mais malheureusement ,chaque fois qu'il terminait à temps, chacun se souvenait soudainement avoir oublié de faire une tache quelconque ,ou bien devait retourner chez lui...

Tous le laissaient alors seul ,encore essoufflé de les avoir rejoint a toute vitesse ,après avoir jeté la derniere part de foin aux vaches...Seul avec son imagination ,et son épée de bois ,qui lui avait couté trois coups de marteau sur les doigts ,et deux échardes...Mais ce n'était pas grave..il en profiterait pour paufiner son arme...
Jusqu'au moment ou il comprit qu'il ne vivrait son aventure que seul.

Il est un moment où le rêve doit cesser ,où il est temps d'ouvrir les yeux...Ma naïveté ne m'a permis que d'etre leur larbin ,condamné à effectuer leur salles tâches ,sous leurs rires et leur mépris habituel
pour moi...Rien n'avait changé ,et moi seul pouvait faire en sorte que ça change...

Malgrès les tremblements qui s'étaient saisis de ses bras ,Volten gardait un regard féroce envers le jeune garçon. Sa réplique cinglante avait laissé un long silence sur le groupe ,et leur chef ne semblait pas avoir apprécié cette "mutinerie".
Volten savait qu'il allait en payer le prix ,mais le temps de la duperie était révolu ; fini d'être utilisé par les autres pour faire leurs basses besognes ,fini d'être sujet à toute les moqueries dûes à sa stupidité. Cette fois ,ils auraient une bonne raison de ne pas l'aimer ,leur chef le premier...Ce dernier s'était avancé lentement vers Volten ,tel le bourreau pret à trancher la tête du condamné ,et se tenait face à lui ,fort de sa grande taille.

"Excuse moi ,mais j'ai bien peur de ne pas avoir très bien entendu. Peut être pourrais tu répéter ce que tu viens de me dire ,Damounill? Je suis quelque peu dur d'orei..
-Tu veux peut être que je nettoie la bouse de tes oreilles avec ça!"

Les pointes de la fourches ne se trouvaient qu'à quelques centimètres du visage du garçon. Autour d'eux ,tous les enfants n'osaient pas bouger ; leur chef lui même n'avait pas bronché ,et ils e fendit d'un sombre sourire.

"Vas-y ,ose. Montre nous que tu es capable de lever autre chose que ton nez et ta petite voix contre quelq'un ,Damoun...
-Mon nom est DAMNILL!!!

Cette frappe fut mémorable. Volten y mit tout ce qu'il avait ; toute la force forgée sur les coups portés à la terre tandis que eux jouaient ; toute la rage d'etre sans cesse considéré comme un moins que rien ; toute la rancoeur envers eux de s'être ainsi servi de lui à son insu ; et toute la colere d'etre aussi stupide ,d'etre ce qu'il était et ne voulait plus être...
Le manche de la fourche frappa le garçon de plein fouet à la tempe ,le faisant vaciller quelques secondes avant qu'il ne tombe ,à moitié sonné.

Ce fut à ce moment que quelque chose changea. Je m'apperçus que je ressentais quelque chose ,tout autour de moi ; c'était palpable ,bien plus qu'une odeur ,mais moins que la pierre. J'en était entouré ,presque oppressé...Je sentais de la stupeur ,de la surprise ,de la douleur et de la confusion ; et peu à peu de la colère ,grandissante et menaçante tel un orage...Je pouvais sentir les émotions des autres...
C'était là le début de mon éveil...

Très vite ,la réalité le rattrapa : il était cerné et venait de frapper violement le chef d'une bande qui ne le portait pas dans son coeur. Il lui fallait trouver un moyen de se défendre efficacement : il fallait prendre la fuite.
Il leva sa fourche d'un air menaçant vers l'un des garçons ,comme prêt à le frapper lui aussi. Le garçon s'écarta vivement -une ouverture!- ce qui permit à Volten de s'enfuir. Il n'avait pas beaucoup de temps ,et ,n'étant pas très fort ,le coup avait davantage blessé l'honneur du garçon que sa tempe ,ce qui laissait présager une terrible correction pour Volten ,ça il le savait.

"ATTRAPEZ-LE!!!"

Le chef s'était déjà relevé ,Volten sentais sa haine déferler sur lui ,étouffant son esprit telle une série de vagues meurtrières. Mais il devait rester conscient ,ne pas se laisser submerger par toutes ces émanations d'émotions qui se ruaient sur lui aussi soudainement ,sinon c'est la douleur qui l'attendait...
Il devait trouver un endroit ou se cacher ,un endroit sombre...l'écurie! Personne n'y était à cette heure-ci ,et les cheveux étaient tous utilisés dans les champs. Il se rua à l'intérieur ,tenta de grimper sur les hauteurs ,mais les poutres pourrisantes céderaient immédiatement sous son poids ,et il n'était pas question de s'attirer en plus la fureur des adultes.
Il senti la pression de la colère s'amplifier en lui : le chef et sa bande approchaient ,il était pris au piège! Non...Il ne sentais pas autant les émotions des autres gamins...Ils devaient s'être séparés. Cela réduisait ses chances de se sauver à nouveau ,que faire? La haine du gamin lui engourdissait l'esprit ,le chef était tout prêt! Qu'allait-il lui faire? Le cogner jusqu'à ce que ses yeux soient si gonflés qu'il ne puisse plus les ouvrir? Lui faire tomber toutes ses dents? Le trainer dehors et appeler ses camarades pour le frapper et l'humilier encore plus qu'ils ne l'avaient déjà fait?...

Non...Les choses allaient changer...

Toujours saisi de tremblements ,Volten se détourna du mur qu'il essayait en vain d'escalader. Il avait abandonné sa fourche pour pouvoir courrir plus vite ,et se retrouvait sans arme ,face à un voyou qui approchait rapidement ,armé d'une épée de bois...La seul chose qu'il lui restait pour se défendre...
C'était lui.

Le garçon surgit dans la lumière de l'encadrement ,son épée de bois à la main la respiration forte et la haine pour tout guide.

"Tu comptais t'en sortir comme ça ,Damounill? dit-il d'une voix déformée par la colère. Tu pensais vraiment qu'une simple tappe suffirait à me mettre à terre et faire de toi le nouveau chef? Je vais te casser toutes tes dents ,il te restera plus que ta langue pour nettoyer mes bottes!
-Viens donc ,sale chien!

Cette voix avait bien été la sienne ,et la colère du garçon fut soudain fissurée par la surprise. Volten se tenait là ,face à lui brandissant ses mains tel des griffes...
Il se sentais étrangement bien ,sa vision avait changé. Ses mains étaient devenus plus grandes ,ornées de longues griffes ,et face à lui ,le petit garçon s'avançait prudement ,brandissant son épée de bois ,sa colère effritée par une peur grandissante...
Volten remarqua que le corps du petit garçon dégageait comme un halo ,mais celà ne l'inquiétait en rien ; ses griffes étaient bien plus dangereuses que la ridicule arme de bois qui lui faisait face...
Volten s'élança vers le gamin ,à une vitesse anormale ,sans même toucher le sol ,et lui assena un coup de griffe en plein visage.Mais l'enfant ne broncha meme pas. A la place le halo de lumière fut comme perturbé ,et une silouette lumineuse -fort similaire à celle du gamin- s'extirpa en parti du corps du garçon ; c'est elle qui sembla recevoir le coup ,mais elle revint immédiatement dans le corps du garçon.

Je ne le realisai pas sur le coup ,mais je venais de porter un coup à son âme. Je venais de découvrir un moyen de rendre toutes les souffrances qu'ils m'avaient infligées.

Le chef hurla de douleur en se tenant la tête suite à la griffure subie. Volten reprit ses distances et constata qu'il n'avait pas prété attention aux alentours : tout était devenu sombre ,noir et comme...mouvant ; lui même semblait ancré à ces ténébres comme si elles étaient son...
Son Ombre.
Toutefois ,il ne chercha pas à comprendre davantage ce qu'il se passait ,il avait là la seule occasion de se venger de toutes les injustices commises ,et il comptait bien les lui faire payer!

"-Alors...le chien montre le crocs mais ne mord pas? Que t'arrive t-il? Tes copains ne sont pas là pour te protéger? Tu as peur dans le NOIR? Tu as peur de MOI?
-Arrête ça! hurla le garçon ,se tenant toujours la tête entre les mains. D'accord ,je m'excuse! Tu n'auras plus à faire mes corvées et je m'occuperai moi même du foin ,d'accord? Arrête ça je t'en supplie! gémissait-il.
-Il me semble que tu avais de la bouse dans les oreilles toute à l'heure non? Laisse moi te les nettoyer..."

Volten saisi l'âme du garçon au niveau de la gorge cette dernière tentant désespérément de se libérer de la poigne sombre.

"Après tout j'ai toujours été là pour ça ,n'est ce pas?"

Il s'éleva dans les airs ,tendit le bras au bout duquel se débattait en vain l'âme et enfonça sa main droit au niveau de l'oreille ,transperçant la tête de chaque part. L'âme et l'enfant poussèrent un hurlement inhumain ,résonnant dans la tête de Volten comme au creux d'une chaîne de montagne ,telle une chute sans fin...

"Maintenant crains moi! Crains mon nom! Crains les Ombres!"